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Du vide en Occident
Lorsque l’on parle du vide en occident, culturellement notre regard est d’ordre physique ou esthétique. Gilles Sautter qui dès le début de son exposé se demande si « regarder un paysage c’est, jusqu’à un certain point, au plan individuel comme au plan culturel, se regarder soi-même » après un détour par Lacan qui offre l’intérêt d’être proche de notre préoccupation via la Chine. A propos de Cézanne, il pose la question de « l’esthétique de l’espace » ce qui est souvent le regard qui est posé sur son oeuvre. Et il nous semble pertinent d’aller au-delà. Il aborde avec Giono le questionnement du rapport physique à l’espace et le citant dans un passage de « Colline » -un lien s’établit qui me rattache à l’espace, et l’espace à moi-même. Je suis en rapport avec l’ensemble des choses dont je fais partie-. Ce qui l’amène à y voir un rapport « sur l’espace totalement ouvert » de la liberté. Quelle liberté y a-t-il là dedans, quelle sens lui donne-t-il ? Nous ne le saurons malheureusement pas.
Et s’il est psychologique, notre regard sur le vide en Occident nous parle d’angoisse, de perte. Nous allons donc quitter le côté « terre à terre » du physique et aller voir du côté psychique à travers une citation de J.P. Ferrier qui dans « Leçons du territoire » nous parle du peuple méditerranéen comme d’un peuple de terrains et citant un proverbe « loue la mer mais reste à terre » nous parle de la mer qui -offre, depuis les hauteurs proches, ses plans sombres que bordent les lumières des maisons et des villes de la civilisation d’aujourd’hui, on a quelquefois l’impression d’être au bord du monde et de dominer le « vide ».-
Dans ce pays de terrien qu’est la Provence, la mer représente ce vide qui angoisse, attitude qui ne commencera qu’à évoluer avec, entre autres, le romantisme qui au XIX° siècle va inciter à chercher le lien « affectif » avec la nature et de fait entre sommets inviolables et océans démontés; ces « vides » sources d’angoisses vont peu à peu changer de nature à travers le regard qui leurs sera portée.
Au vide en Extrême-Orient
A l’opposé, de par son histoire, la Chine à travers la philosophie taoïste et une approche pragmatique a depuis longtemps jet‚ un regard sur le vide qui est, dans sa dimension culturelle, celle que la physique moderne porte, c’est-à-dire que le vide est plein.
Il porte. Il structure le monde.
L’image qui en est donné est celle du souffle qui porte dans le vide entre Ciel et Terre, capable de fournir du souffle à volonté, inépuisable. (Chap. V et XI du Lao-Tseu). Le vide est efficace au même titre que le moyeu de la roue, le vase ou la maison parce que ce sont des réceptacles. Il est invisible mais il porte le monde par son efficacité, comme le Vide entre Ciel et Terre. Image symbolique mais également réalité physique.
Et, d’une autre façon, si l’on dit « faire le vide en soi », c’est cherché à être comme le vide de l’univers, être rempli de ce souffle qui porte en lui l’essence de la vie.
C’est en ce sens que l’on peut parler de plein. Plein de l’énergie vitale qui anime le monde. C’est dire que ce vide est source de vie et l’on est bien loin de l’idée de peur, de crainte, d’angoisse. Il s’agit bien d’une démarche inverse de celle de l’occident parce que bâti non pas sur une construction du monde engendrée par la notion de « Bien face au Mal » -Caïn et Abel- mais au contraire, vers une origine de « complémentarité et d’équilibre ». Le bien et le mal sont en tout et tout est bien et mal ensemble.
« Fou-hi et Niu-koua », le couple mythique fondateur des Chinois est cette complémentarité. Deux personnages liés par des « queues de sirènes », construisant le monde par « l’équerre et le compas » tenus dans chacune de leur main et sortant de l’eau, origine de l’univers. Image forte s’il en est.
Notre regard sur le vide a donc pris deux milles ans de « retard » car dès le départ, ce regard s’est établi sur une vision du monde à travers un prisme religieux qui a voulu voir des dualités plutôt que des complémentarités. Plutôt que de regarder la nature et d’en recueillir des leçons, ce que nous apportera « le siècle des Lumières », le monde sera construit sur une vision déformée de la nature et tous les raisonnements qui en découleront seront évidemment entachés par ce regard déformé. Il nous faudra bien du temps pour s’en convaincre et le modifier.(…)
Extrait de « La notion de vide et le paysage cézannien »
ppmb.